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La Cour suprême britannique a rendu une décision importante le 16 avril, à la suite d’un recours du groupe For Women Scotland. Le litige portait sur une loi écossaise de 2018 visant à assurer une représentation équilibrée des genres dans les conseils d’administration de certaines autorités publiques, en Écosse. La Cour devait déterminer si, en vertu de la loi britannique sur l’égalité, la définition légale de « femme » inclut les femmes trans ayant obtenu un certificat de reconnaissance de genre (CRG).

La réponse de la Cour : non.

Selon le jugement, le terme « femme », dans ce contexte, désigne uniquement une personne de sexe biologique féminin. Cela réduit donc la portée du CRG, un document légal attestant de l’identité de genre des personnes trans sur la base du genre ressenti plutôt que leur sexe biologique.

Cette décision juridique aura des répercussions importantes, non seulement dans les conseils d’administration du gouvernement écossais, mais aussi dans plusieurs domaines d’activités où le CRG pourrait être contesté (dans le sport, par exemple).

Ce n’est pas la première fois que l’Écosse subit un revers devant une instance fédérale sur les droits des personnes trans. En 2023, le gouvernement conservateur britannique a invalidé un projet de loi sur la reconnaissance du genre en Écosse déposé en 2022 par le Parti national écossais (véhicule politique pro-indépendance de l’Écosse) et qui avait été adopté à majorité au Parlement écossais, en toute légitimité démocratique.

Ce projet de loi proposait la reconnaissance de l’identité de genre dès l’âge de 16 ans. Pour l’invalider, le gouvernement britannique a invoqué l’article 35 de la Scotland Act de 1998. Cette clause, qu’il n’avait jamais utilisée auparavant, lui donne le droit d’intervenir dans certains cas exceptionnels pour annuler une législation. Les communautés trans se sont ainsi retrouvées au cœur d’un jeu politique entre deux paliers de gouvernement où la discussion a rapidement dévié vers des questions de souveraineté.

Ce conflit soulève le spectre d’une utilisation des questions trans pour restreindre l’autonomie des nations minoritaires. Le Parti national écossais en est sorti très affaibli, au point que Nicola Strugeon, première ministre d’Écosse, a été contrainte de démissionner. Dans une entrevue accordée en 2024, elle a déclaré que sa tentative de donner plus de droits aux communautés trans lui avait valu plus de critiques politiques que la question même de la souveraineté écossaise. Depuis, le gouvernement écossais a abandonné ce projet de loi.

Le dernier jugement unanime de la Cour suprême sur la définition d’une femme était, en fait, la deuxième intervention du Royaume-Uni sur un projet de loi écossais visant à offrir plus de droits et de reconnaissance à ses communautés trans.

Des leçons à partager entre fédérations 

Plusieurs parallèles peuvent être faits entre l’Écosse et le Québec, ainsi qu’avec le reste du Canada. Comme l’Écosse, le Québec évolue dans un espace politique fédératif qui ne séduit pas toute sa population. Le Québec comme l’Écosse comptent des partis politiques qui militent pour quitter la fédération.

Fier de son approche progressiste à l’égard des communautés LGBTQ+, le Québec s’est parfois dissocié du « reste du Canada » sur cette question. Pourtant, les enjeux trans sont devenus, pour reprendre les mots de Nicola Sturgeon, « a battering ram » en politique, faisant référence au bélier utilisé au moyen-âge pour défoncer les portes des châteaux forts. C’est une image évocatrice pour souligner que les questions trans sont désormais utilisées comme un outil pour dépasser les limites dans les débats politiques.

Que peut-on apprendre du jeu de pouvoir auquel on assiste de l’autre côté de l’Atlantique ? Deux leçons ressortent de l’expérience écossaise sur la composition judiciaire et le coût politique de l’instrumentalisation des enjeux LGBTQ+.

La composition judiciaire est cruciale

La première leçon de l’expérience écossaise est que la composition des tribunaux supérieurs dans les fédérations est importante pour les questions LGBTQ+. Historiquement, les communautés ont avancé légalement grâce aux décisions rendues par les cours supérieures ou suprêmes.

Récemment, le gouvernement du Québec a présenté une résolution demandant au gouvernement fédéral de consulter la province avant de sélectionner les juges des tribunaux supérieurs – un changement potentiel qui pourrait avoir des conséquences imprévisibles pour les cas LGBTQ+.

Selon la perspective du parti au pouvoir, des juges choisis avec la participation provinciale pourraient agir comme un rempart contre l’érosion des droits LGBTQ+, ou, au contraire, en être un catalyseur.

Le cas écossais montre comment les causes peuvent être traitées différemment selon la composition des tribunaux, dans une fédération composée de plusieurs nations.

La demande du Québec d’avoir voix au chapitre  sur les nominations judiciaires coïncide avec une décision de la Cour supérieure, reconnaissant désormais la pluriparentalité. Ce jugement obligera le gouvernement du Québec à réformer son code civil pour tenir compte de la décision. C’est le genre de décision qui aurait pu avoir un résultat différent si le Québec avait son mot à dire dans les nominations à la Cour supérieure.

Globalement, au Canada, les dernières années ont montré que les gouvernements tendent à s’opposer aux enjeux trans, tandis que les tribunaux agissent souvent pour protéger leurs droits. D’où l’importance d’avoir des organes judiciaires représentatifs non seulement des pluralités nationales, mais aussi des différentes perspectives idéologiques.

Le cas britannique illustre les effets d’une composition majoritairement conservatrice du pouvoir judiciaire.

Politiser ces enjeux a un coût politique

La deuxième leçon est de se méfier de l’usage des questions trans à des fins politiques, car le prix peut être élevé. Le cas du Nouveau-Brunswick illustre bien cette mise en garde.

En 2023, le gouvernement progressiste-conservateur, alors dirigé par Blaine Higgs, a été poursuivi pour avoir voulu réviser sa propre loi (la loi 713) adoptée en 2020. Cette loi visait à mieux reconnaitre les droits des enfants trans à l’école en leur permettant de choisir le pronom ou prénom de leur choix. Higgs a voulu ajouter le consentement parental à ce droit, ce qui a été contesté par des groupes de défense des droits de la personne. Ce virage à droite a contribué, selon certains observateurs, à la défaite du parti aux élections de 2024.

Deux autres provinces, la Saskatchewan et l’Alberta, sont actuellement devant les tribunaux pour des questions similaires de « droits parentaux ». En Saskatchewan, le gouvernement est poursuivi pour avoir adopté une loi exigeant le consentement parental si un enfant demande à être appelé par un pronom ou prénom différent à l’école. En Alberta, trois projets de loi, dont un interdisant aux médecins de prodiguer certains traitements aux jeunes trans de moins de 16 ans, sont aussi contestés par des groupes de défense des droits LGBTQ+.

On verra si ces provinces tireront des leçons du précédent du Nouveau-Brunswick. Continueront-elles sur cette voie, risquant le même revers politique, ou chercheront-elles à éviter une procédure judiciaire longue et coûteuse ?

La judiciarisation croissante de ces politiques suggère que le pari de politiser les droits des personnes trans comporte de vrais risques, que les gouvernements provinciaux ne devraient pas sous-estimer.

Enjeux LGBTQ+ et fédéralisme : une dynamique complexe

Si le Canada peut tirer des leçons du Royaume-Uni avec son système politique similaire, les deux pays sont, à certains égards, dans des situations opposées. Tandis que l’Écosse cherche à faire progresser les droits des communautés trans, au Canada, ce sont deux provinces qui tentent de légiférer des « reculs » pour ces communautés.

Alors que le Nouveau-Brunswick a démontré qu’il est électoralement défavorable d’attaquer les minorités, le cas écossais montre aussi l’inverse : il peut y avoir un coût politique à faire avancer les droits des personnes trans quand l’État central est conservateur. À l’inverse, quand l’État est progressiste sur les enjeux LGBTQ+ (comme sous Justin Trudeau), certaines provinces semblent vouloir s’en éloigner.

En bref, les arrangements institutionnels des fédérations comme le Canada et le Royaume-Uni ont un effet important sur les questions sociales – et leur manipulation politique –lorsque le pouvoir est contesté entre différents paliers gouvernementaux. Cela est particulièrement vrai dans les États multinationaux.

Heureusement, les échos du recul démocratique aux États-Unis ont pour effet de réaffirmer la croyance des Canadiens en la démocratie et en l’État de droit. Espérons que les nations au sein de la fédération canadienne s’uniront pour protéger les minorités plutôt que d’en faire l’objet d’une lutte de pouvoir.

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